Quand et comment les fraises sont-elles arrivées dans nos assiettes ?
Au Néolithique, la fraise pousse à l’état sauvage en Amérique et en Asie, ainsi que dans les zones sub-montagneuses d’Europe occidentale. Sur ces trois continents, on en a dénombré environ 35 espèces qui témoignent de la diversité des climats où la plante s’est établie. Elle a vraisemblablement été répandue par les oiseaux qui transportent sur de longues distances la petite baie chargée de ses minuscules graines. Nos ancêtres du Néolithique la consommaient.
1 000 ans avant notre ère, les Romains la cultivaient dans leurs jardins. Elle était déjà appréciée pour son goût et son parfum. Ils cueillaient aussi les fraises des bois ou fraises sauvages pour leurs vertus thérapeutiques et en faisait des masques de beauté. La fraise (Fragaria vesca en latin), doit son nom à son parfum exquis, sa « fragrance ». Très certainement originaire des Alpes, la fraise des bois est connue depuis l’Antiquité où elle fait l’objet d’une cueillette miraculeuse tant elle est prolifique. Ovide la mentionne déjà dans quelques vers champêtres.
C’est au Moyen Age qu’on commencera à introduire la fraise des bois dans les jardins et les potagers, et à améliorer sa récolte avec fumage et paillage du sol. Sa culture démarre réellement par repiquage des stolons de l’espèce sauvage, la fraise des bois. À la Renaissance, la fraise était un fruit apprécié que l’on consommait avec de la crème – pour les femmes, – ou du vin – pour les hommes. Toutefois, elle ne fera l’objet d’une véritable culture commerciale qu’à compter du XVe siècle. Les Anglais, puis les Hollandais améliorent alors les espèces sauvages qui poussent en abondance dans les bois environnants afin d’obtenir de plus gros fruits, notamment à partir de l’espèce F. vesca. Jusqu’au début du XVIIIe siècle, c’est elle que l’on cultivera principalement dans les jardins européens. Cependant, dès le XVIe siècle, on cultivera, à l’abri des murets des jardins botaniques, les plants d’une espèce à fruit plus gros et d’un rouge plus foncé (F. virginiana) que des explorateurs avaient rapportés du nord-est des États-Unis. Mais, il faudra attendre deux cents ans encore avant que sa culture ne se répande réellement. Cela ne se produira qu’après qu’on ait amené d’Amérique une autre espèce (F. chiloensis) avec laquelle on la croisera.
Jean-Baptiste de La Quintinie, jardinier de Louis XIV, lui fit les honneurs de son extraordinaire potager. Il les récoltera sous châssis pour le plus grand plaisir du Roi qui en faisait, dit-on, une grande consommation, malgré l’interdiction de son médecin, Fagon. Au XVIIIe siècle, c’est un espion français portant le nom prédestiné d’Amédée François Frézier, dont la mission consistait à « observer » les fortifications portuaires du Chili et du Pérou, qui découvrira des fraises plus grosses que les fraises des bois de nos contrées. Il avait remarqué que les Picunches et les Mapuches du Chili la cultivaient et consommaient son fruit de toutes les manières : frais, séché ou transformé en un alcool qu’ils offraient aux visiteurs de marque. Le 17 août 1714, Amédée François Frézier est de retour à Marseille avec, dans ses bagages, des pieds de Fragaria Chiloensis qu’il apporte au jardin botanique de Brest puis au Jardin Royal. De cette plante, la Blanche du Chili, seuls cinq plants femelles survivent à la traversée. Transportés à Paris, ces plants n’ont pu fructifier qu’en présence du Fraisier de Virginie (Fragaria virginiana), une variété à petits fruits rouges ramenée du Québec un siècle plus tôt. De cette union, consacrée en terre européenne, entre deux plantes d’origine américaine, naîtra une nouvelle espèce qui, très rapidement, fournira l’essentiel de la production mondiale de fraises. On l’appellera Fragaria ananassa (fraisier ananas) du fait de la saveur de son fruit, qui s’apparente à celle de l’ananas.
Toutefois, les Français sont restés attachés à leur petite fraise des bois qu’ils trouvent infiniment plus parfumée que la grosse hybride américaine. En saison, on peut la trouver sur les marchés locaux. On la cultive également dans les jardins familiaux. En Amérique, elle a aussi ses amateurs, qui sont de plus en plus nombreux à l’apprécier.
Du jardin royal, en passant par le jardin botanique de Brest, le hasard mène, en 1740, la fraise du Chili dans la presqu’île de Plougastel. Bénéficiant d’un climat océanique d’une douceur exceptionnelle, similaire à celui du berceau d’origine de la fraise chilienne, cette commune sera la première à la cultiver, au point que cette région produisait en 1937, le quart de la production française. A Plougastel, le fraisier se développe bien grâce au climat tempéré de la presqu’île et ses terrains argileux. Au XIXè siècle, la culture de la fraise prend le pas sur la culture du lin. Elle est alors pratiquée en plein champ sur de petites parcelles. Les Brestois sont les principaux acheteurs mais en 1854 une commerçante de Morlaix a l’idée de vendre des fraises aux Anglais. En 1865, l’ouverture de la voie ferrée Brest-Paris marque le début d’un développement intense de la fraisiculture. A la fin du siècle, la production de fraises couvre 4 000 hectares. Fin XIXè, les producteurs se regroupent pour commercialiser les fraises. Dans les années 1920, le marché anglais est le principal débouché de la fraise qui devient alors un produit très lucratif. Dans les années 1950, les agriculteurs de la presqu’île de Plougastel se tournent vers la sélection des plants, obtenant ainsi sur des surfaces identiques des rendements élevés. En 1970, tous les fraisiers de Plougastel sont cultivés sur du plastique noir et sous des tunnels transparents. Pourtant en 20 ans la production a baissé de 40%. Au début des années 1990, la presqu’île se couvre de grands tunnels de 50 à 60 mètres de long et de 4,50 mètres de large qui permettent d’avoir des fraises de mi-mars à fin octobre.